
Il fut l'un des artisans d'Haïti Littéraire, ce cercle incandescent, né dans les années 60, où la parole se forgeait comme une étincelle d'espoir. Haïti Littéraire n'était pas seulement un mouvement ou un simple regroupement d’écrivains mais incarnait une résistance, un refus du silence et du conformisme imposé par la dictature. Inspiré par le surréalisme mais ancré dans une quête d’authenticité, ce mouvement rejetait le folklorisme figé et toute compromission avec le pouvoir, faisant des mots un acte, un engagement, une braise ardente qui se consumait dans la nuit haïtienne, créant une poésie d’utilité publique, une parole vivante, offerte au peuple et porteuse d’un espoir irréductible.
Cette fraternité littéraire fut un espace de création mais aussi de mise en péril : persécutés, emprisonnés, contraints à l’exil, plusieurs de ses figures durent poursuivre leur œuvre loin de leur terre natale. Pourtant, l’écho de leur voix ne cessa jamais de traverser les mers. Haïti Littéraire : une insurrection de l'esprit, un serment de fidélité à la langue et à la liberté. Dans un pays où le verbe pouvait être un danger, ces poètes firent des mots une citadelle, un feu qui refusait de s’éteindre.
Aux côtés de ses compagnons d'écriture, Anthony Phelps a tissé une toile de mots, refusant l'oubli, défiant la nuit, réinventant Haïti en vers et en révolte, portant à travers ses textes une insoumission, un battement de vie, une lumière dans l'ombre. Son verbe était une lueur partagée, une fraternité de lettres qui transcendait l'exil et les mutismes imposés.
Anthony Phelps a créé une parole faite de souffle, un chant profond, une réverbération. Elle portait l’écho des espoirs, des blessures et des rêves d’un peuple, de tous les peuples. Sa poésie, lumineuse et indocile, était une traversée, un battement d’îles, une danse d’ombres et de lumière.
Il tissait l’espoir à travers ses mots, comme une incantation douce et puissante. Sa langue était une invitation à l’éveil, un fil tendu entre la mémoire et l’avenir. Elle flottait, elle enveloppait, elle secouait.
L'exil ne l'a pas brisé, il l'a transformé. Déposé loin de sa terre natale, il n'a cessé de porter Haïti en lui, dans chaque phrase, dans chaque souffle poétique. Son écriture, éclatante et engagée, était un retour perpétuel vers l’île, un hommage à son peuple, à ses douleurs et à ses espoirs.
Loin de son rivage, il a bâti un univers de mots où Haïti continuait d'exister, inaltérable, insoumise. Ses productions sont des témoins de ce déracinement et de cette appartenance, des passerelles jetées entre un passé blessé et un avenir rêvé. Il portait dans sa voix les chants d’une terre aimée et meurtrie, et dans son silence, la nostalgie d’une mer traversée.
Ses images nous habitent encore, imprégnant nos êtres d’une musique profonde. Son verbe, libre et ardent, déploie des horizons insoupçonnés. Une langue en apesanteur, résonnant bien au-delà des frontières, dans les ondulations du temps. Il suffit d’écouter, de lire : sa voix veille, murmure, demeure.
Une phrase lente de violoncelle, Anthony Phelps, Editions du Noroît, 2005. p. 36-37.
«
[…]
Les arbrisseaux buissonnants des tailleurs de l’été
les forêts en fauve et or
et le regard quadruple des ratons laveurs
lui étaient choses familières.
Pourtant malgré glissades et copinages,
une tenace mémoire d’été
insidieusement le tenaillait
le renvoyait à tout propos vers son lieu caraïbe.
Et ce n’était point sa faute
s’il n’avait jamais vu un champ de blé.
Aujourd’hui
un printemps hors saison a remplacé le gel.
Visage d’un enfant dans son panier d’osier.
Vin bu en transparence.
Gestuelles de myosotis des amoureux.
Voix de l’unijambiste récitant ses prouesses
lente énumération de ses médailles
et des belles jambes qu’elles lui ont faites.
Publicités aveugles des vendeurs de loteries.
Anciens croquis et paysages à jamais disparus.
L’Histoire a traversé la rivière.
Pourtant
l’or et l’argent remontent encore le fleuve
sombre mémoire
d’un Guadalquivir qui joue à l’innocent.
Mais il n’y a point d’oubli
rien que cloches fêlées.
Le passé rattrape toujours la piste des pas perdus
et parfois à la tombée du soir
remonte un parfum de très ancienne violence.
Déséquilibre de l’Histoire
gardienne d’est en ouest
de quelle mer gémellaire ?
Distanciation. Raclement.
Transe. Sauvage bégaiement.
Quel rythme le déconcerte ?
Ce n’est point sa faute
s’il ne sait pas jouer du talon flamenco
et qu’une femme au miroir magnétique
perd son œil gauche
dans le silence de Lorca.
Aujourd’hui il déambule
nouveau quêteur de résidence.
Le soleil se rappelant ses origines
lui tire révérence. »